"En ces temps difficiles, il convient d'accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux." Chateaubriand

dimanche 16 décembre 2012

Avenir radieux (fiction cauchemardesque)


"Que de chemin parcouru!" pensa-t-elle avec un sentiment de fierté mêlé d'orgueil. Cela faisait une vingtaine d'années maintenant que les fondations avaient été posées de la grande œuvre qui allait modifier radicalement la société française et montrer la voie aux autres, enfin à celles qui avaient assez douté de leur passé qu'on avait cru glorieux jusqu'à une certaine époque, c'était avant la grande lessive de la repentance, pour vouloir se débarrasser de ses oripeaux désormais. Certes la France n'avait pas été la première à prendre à contrepied l'ordre établi depuis des siècles et même davantage en remettant en cause les fondements de la famille. La Belgique, l'Espagne et d'autres pays en perdition l'avaient précédée dont les dirigeants avaient fait le pari du sociétal dans l'espoir de faire oublier leurs impuissances. Les uns ne pouvaient plus assurer une certaine cohésion et même une cohérence nationale, mais ça c'est désormais du passé pour tous quasiment, les autres ne savaient plus quoi faire pour éviter une paupérisation généralisée qui paraissait devoir perpétuellement s'aggraver. D'ailleurs les deux phénomènes ne manquaient pas parfois de se conjuguer. Non, la France n'avait pas été la première, mais elle se devait d'aller plus loin que les autres, et même d'effacer leurs initiatives de l'histoire. N'avait-elle pas fait de même avec sa Révolution sanguinaire en faisant oublier les révolutions anglaises qui l'avaient précédée d'un siècle au moins et qui pourtant avaient mis fin également à l'absolutisme?

Oui elle se rappelait. Certes elle n'avait pas été un élément essentiel de l'ébranlement qui allait avoir lieu. Son seul mérite était d'avoir pris le train en marche après s'être fait confier des responsabilités qu'au fond d'elle-même, à l'époque, elle savait ne pas tout à fait mériter et devoir essentiellement à son état de femme et son origine étrangère. Ceci dit en regardant autour d'elle, elle s'était vite rassurée en comprenant qu'elle ne déparerait pas dans l'équipe qui avait été constituée en grande partie sur des fondements qui n'avaient pas grand-chose à voir avec la compétence ou le mérite. De ça les Français ne mettraient pas longtemps à se rendre compte. Juste quelques mois allaient suffire. D'où cette volonté acharnée de se manifester sur le plan sociétal qui allait pouvoir faire diverger les esprits, assez mal d'ailleurs, des problèmes éminemment essentiels que devait affronter la France en cette période trouble et qu'elle n'affronta pas préférant dans les domaines considérés abandonner sa souveraineté pour la confier à quelques technocrates souvent inconnus qui avaient quand même eu la bonne grâce de laisser aux élus nationaux les apparences du pouvoir. Enfin surtout les signes. Et aussi quelques initiatives dans le domaine sociétal, ceci d'autant plus volontiers qu'à terme ça leur fournirait un terreau favorable à l'extension de leur projet mondialiste. Entendez par là qu'un peuple coupé de ses racines, simplement sensible à sa qualité de vie, c'est-à-dire à sa capacité de consommer, est bien plus malléable qu'un autre peuple revendiquant son identité avec fierté et donc refusant les compromissions mettant en cause cette dernière. Et il fallait bien que ce fût un régime de gauche, enfin social-libéral ou démocrate qui le fît, la droite bien que comprenant des tendances franchement libérales ayant tout de même quelques scrupules à brader ouvertement l'identité nationale ou d'autres fondements ramenant les individus à autre chose que des électrons libres ou se croyant tels, mais juste axés sur la jouissance immédiate.

Mais sur tout cela elle ne s'était jamais vraiment interrogée. Elle avait pris le train et avait joué son rôle de petit soldat, le confondant avec celui de la militante qu'elle fut. Elle avait pris le taureau par les cornes et était allé jusque dans les crèches et les maternelles les tares des croyances passées, enfin ce qu'elle considérait comme des tares et passées, pour mieux les expurger de ces lieux où commencent à se forger les personnalités. Lors des grands changements sociaux, surtout quand ils sont imposés, il vaut mieux se concentrer effectivement sur le savoir-être que sur les savoir-faire. Et c'est ainsi que dans les écoles dès la maternelle on sacrifia à l'apprentissage du français pour donner de la place à un ensemble de disciplines regroupées sous le nom de morale laïque pour bien assujettir les jeunes cerveaux au nouveau monde qui avait été décrété par quelques penseurs dits progressistes qui avaient su se servir comme auxiliaires des associations malfaisantes, toutes ne le sont pas, et de quelques lobbies braillards, suffisamment braillards pour qu'on puisse croire qu'ils représentaient bien davantage qu'eux. Et en plus les médias, dans leur grande majorité, étaient entré dans le jeu, les quelques uns qui avaient des réserves à exprimer ne le faisant que timidement, presque en s'excusant tant ils avaient la crainte de passer pour réacs ou fachos, comme on disait à l'époque Une vraie forme de totalitarisme qui ne disait pas son nom, parce qu'il différait de ceux violents qui l'avaient précédé, avait posé sur la société une véritable chape de plomb qu'on avait tapissée de soie colorée, de couleur arc-en-ciel.

Mais ça n'avait pas marché aussi bien qu'ils l'avaient escompté, sa bande et elle. Certes, malgré de fortes oppositions notamment dans la rue avant que le projet de loi soit déposé devant le Parlement, malgré quelques recours constitutionnels qui n'aboutirent pas, c'était passé assez facilement. Même si le parlement mandaté en secret par un président trop couard pour assumer avait ajouté au projet de loi initial la PMA exigée par les lobbies qui ne représentaient qu'eux-mêmes. Le peuple n'avait pas eu la parole. Et quand quelque temps plus tard, un député proposa qu'on légalise la gestation pour autrui (GPA) pour les couples gays discriminés, ça passa aussi. On balaya d'un revers de la main l'objection de quelques féministes qui parlaient de commercialisation du corps des femmes en décrétant la mise sur pied une commission d'éthique où on les fit entrer en tant que membres hautement rémunérés. Car si l'amour rend aveugle, l'argent possède les mêmes vertus.
Tout se passait donc pour le mieux. Sauf que les esprits n'avaient pas été suffisamment purgés des scories du passé, lavés de leurs préjugés, pour être simple, éduqués. Et donc une quinzaine d'années après le vote de ces lois on assista à une soudaine et inattendue vague de suicides parmi les jeunes adolescents qui vivaient dans des familles homoparentales. Ce qui les tua ne fut pas tant de vivre au sein de familles artificiellement constituées que le regard des autres enfants dont on connait la cruauté. Ils ne constituaient en effet qu'une encore infime minorité et à ce titre étaient victimes de toutes les vexations notamment dans ces quartiers dont la culture admettait mal, et c'est un euphémisme, cette forme de famille. Je ne parle pas forcément de Versailles. Ce fut une tragédie dont on se garda bien d'analyser les causes profondes qui auraient pu remettre en cause ce qui avait été imposé une quinzaine d'années plus tôt. Il n'était pas question en effet de faire machine arrière et de revenir à une forme de famille, disons plus naturelle, dont le modèle privilégié était un père, une mère (ou le substitut de l'un d'eux mais du même sexe) et des enfants qui pouvaient se réclamer de géniteurs dument identifiés. On évita de se rappeler la mise en garde du défenseur des droits qui avait déclaré qu'on n'avait peut-être pas suffisamment pris en compte les intérêts des enfants dans cette affaire. Tout ceci était d'autant plus impensable qu'après avoir été sèchement battue en 2017, la gauche venait de revenir au pouvoir.

Elle était toujours là. Elle avait pris de l'âge et aussi du poids. Elle qui avait été une disciple de Ségolène Royal avait opté à son corps défendant pour celui de son ancienne rivale et maire de Lille. Lui restait son sourire que faisait ressortir son teint mat. Mais en même temps que les kilos elle avait pris de l'assurance et s'était suffisamment imposée au sein du parti pour qu'on en fasse un premier ministre. Ce fut donc à elle de se coltiner la crise occasionnée par cette vague de suicides. Admirablement conseillée, elle sut retourner la situation non pas vraiment à son avantage, mais au désavantage de la France ou de ce qu'il en restait.
L'idée lui vint ou plutôt lui fut suggérée que pour que cessent des discriminations contre lesquelles on ne pouvait pas grand-chose, il fallait aller encore plus loin dans la réforme de la famille et finalement, en quelque sorte, dissoudre celle-ci ou lui ôter sa substance en éliminant définitivement les liens du sang qui pouvaient exister en son sein et auxquels malgré les endoctrinements prodigués par l'éducation nationale il demeurait évident que trop de familles étaient attachées. Il fut donc décidé après d'âpres combats, il faut le reconnaitre, mais qui pouvaient être gagnés puisque là encore une fois il n'était pas obligatoire de demander son avis au peuple, de détruire ces liens. Ainsi, au nom de l'égalité pour tous bien sûr, il fut interdit aux couples hétéros de procréer pour eux-mêmes. Les enfants issus d'un mariage ou même d'un accouplement de circonstance devraient être mis à disposition de la collectivité, c'est-à-dire rejoindre la cohorte d'enfants destinés à être adoptés par tous, même par ceux qui pouvaient procréer de manière naturelle. La PMA dans cette même logique fut interdite. Tandis que la GPA fut largement encouragée. Il fut d'ailleurs facile, en regard de la conjoncture économique de recruter des femmes qu'on rémunéra grassement pour devenir mères porteuses au profit de la collectivité. Et afin d'assurer le remplacement de la population, voire une progression raisonnable, on fit appel à l'importation qui s'avéra d'ailleurs bien moins couteuse que la GPA et garantit une progression de la diversité bien plus rapide que par les processus anciens et naturels.
On appela le programme "enfant à la carte" même si les parents ne pouvaient choisir ni le sexe ni la couleur de celui qu'ils allaient adopter. Mais on fit valoir les avantages de choisir le moment où on voulait avoir un enfant. Le stock permettait en effet de satisfaire chacun quand il le voulait. C'était encore plus simple que d'acheter une voiture. Quel progrès, n'est-ce pas!

Tout le monde devait être gagnant dans cette affaire. Les parents, même si leurs choix étaient réduits, et les enfants qui se déchargeraient enfin du poids de leur hérédité et aussi de leur histoire. La possibilité de changer de prénom à l'âge adulte leur permettrait même de rompre définitivement avec leur famille de circonstance et de signifier qu'ils se débarrassaient aussi de leurs liens affectifs pour mener enfin une vie libérée de toute entrave du passé. Venus de nulle part, ils pouvaient aller partout et mener une vie de consommateur libéré.

Oui, elle pensait à tout ce chemin parcouru avec un sentiment de fierté mêlé d'orgueil. Et elle se disait que maintenant il serait temps de s'occuper des vieux. Le droit de mourir dans la dignité était désormais chose acquise depuis longtemps. Et elle se demandait s'il ne serait pas intéressant, au moins pour les finances publiques toujours sous perfusion des marchés, de transformer ce droit en obligation. Ce ne serait sans doute pas simple dans un premier temps, même en constituant un nième comité d'éthique. Mais avec les nouvelles générations, avec ces enfants sans attaches qui allaient bien finir par grandir, ce serait dans quelques années une formalité. Eux au moins comprendraient qu'il ne faut pas s'embarrasser de fardeaux aussi encombrants, enfin surtout couteux, qu'inutiles. Elle avait semé les graines qui allaient permettre ça. Elle se rengorgea en pensant à la trace qu'elle allait laisser dans l'histoire et saisit un loukoum dans l'assiette qu'elle avait toujours à portée de main. Elle le méritait bien.

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